Saison 1972-1973
Forcés de se défendre avec un club bâti à la dernière minute, les Nordiques se battent avec l'énergie du désespoir à leur toute première saison dans l'AMH.

Ce n'est qu’en mai 1972 et après de longs mois d'attente que les Nordiques ont obtenu un financement adéquat. Le club québécois peut enfin entrer dans la chasse aux vedettes de la LNH, mais il est en retard de deux ou trois mois sur les autres équipes de l’AMH. Propriété de Québécois à 100 %, les Nordiques tentent de mettre le grappin sur des vedettes francophones, notamment les porte-couleurs des Canadiens de Montréal dont les contrats arrivent à échéance. Leurs premiers efforts se soldent par un échec: Jacques Lemaire, Guy Lapointe et Pierre Bouchard restent chez le Tricolore; à Buffalo, Gilbert Perreault refuse le contrat plein de trous que le club québécois lui a proposé; Jacques Richard, la grande vedette des Remparts, tourne le dos aux Nordiques et accepte plutôt l’offre des Flames d’Atlanta.

Partout, les joueurs de la LNH hésitent à faire le saut dans la nouvelle ligue, ce «circuit maudit» voué à une mort rapide selon de nombreux observateurs dont les propriétaires des Remparts de Québec. Furieux de voir un autre club s'installer au Colisée, ces hommes d'affaires n'ont pas oublié leurs querelles avec le groupe des six. Ils font circuler un «budget de la frousse», prédisant un déficit épouvantable aux actionnaires des Nordiques. Les Remparts vont même jusqu'à congédier leur entraîneur Maurice Filion, qui a déclaré que les Nordiques étaient un bon débouché pour les hockeyeurs québécois. C’est une rivalité inutile qui fait mal aux Nordiques à leurs débuts et qui durera encore une dizaine d'années.

À la fin du mois de juin, les Nordiques n'ont toujours pas réussi à attirer un seul gros nom à Québec. C'est alors que le directeur-gérant de l'équipe, Marius Fortier, a une idée qui lui paraît géniale: offrir le poste d'entraîneur à Maurice Richard, l'idole de tout un peuple. Idée pas tout à fait originale puisque Richard a déjà été pressenti par le club de New York, mais qui mérite un essai. Fortier et son dépisteur en chef Maurice Filion se rendent chez le Rocket à Montréal et lui expliquent leur projet. Richard a de l'estime pour ses deux interlocuteurs mais il refuse leur offre aussitôt, sous prétexte qu'il n'a jamais été bien reçu à Québec. En effet, à quelques reprises dans le passé, le Rocket a eu des démêlés avec les amateurs de la Vieille Capitale, notamment la fois où il a accroché un arbitre par le cordon de son sifflet durant un match hors-concours.

En revanche, Richard rêve depuis des années de diriger une équipe de hockey. Les Canadiens n'ont jamais eu le cœur de le lui demander et maintenant il devrait refuser l'appel au secours lancé par les Nordiques? Pressé par sa femme Lucille, le Rocket accepte finalement de se rendre à Québec pour assister à une soirée spéciale organisée en son honneur au stade municipal. Ovationné de longues minutes par 6000 spectateurs en délire, Richard accepte les larmes aux yeux de devenir le premier entraîneur de l'histoire des Nordiques. Il signe son contrat le 27 juillet devant une foule immense réunie devant l'hôtel de ville de Québec. Quelle publicité incroyable! Tout le monde parle du bon coup des Nordiques.

Une semaine plus tôt, le talentueux défenseur Jean-Claude Tremblay a également signé un contrat avec les Nordiques, un pacte de cinq ans à 140 000 $ par saison. C’est une acquisition déterminante puisque Tremblay sera finalement le seul joueur de haut calibre à faire le saut dans l'AMH chez les Nordiques. Les joueurs qui complètent l’équipe sont presque tous des francophones: Serge Aubry, Richard Brodeur, Pierre Roy, Jacques Blain, François Lacombe, Michel Archambault, Jean-Guy Gendron, Michel Parizeau, Paul Larose, André Gaudette, Renald Leclerc, Alain Caron, Robert Guindon et Pierre Guité. Du talent et de la bonne volonté certes, mais peut-être pas assez d'expérience et de robustesse pour rivaliser avec les autres clubs de l'AMH.

Le camp d'entraînement des Nordiques s'amorce le 21 septembre 1972 et l'équipe dispute son premier match hors-concours le 26 septembre: c’est une victoire par 4 à 1 au Colisée face aux Whalers de la Nouvelle-Angleterre. Les Nordiques se préparent toutefois en l'absence de leur entraîneur, retenu à Moscou pour la «Série du siècle» entre le Canada et l'URSS. Un engagement de trop que le Rocket, homme de parole, a refusé de décommander. Durant ce voyage, Richard ne cesse de penser au travail colossal qui l'attend à Québec et remet en question sa décision du mois de juillet. Le hockey a bien changé depuis sa retraite, a-t-il les qualités requises pour assumer les fonctions d'entraîneur? Il revient dans la Vieille Capitale quelques jours à peine avant le début de la saison régulière des Nordiques, fatigué, anxieux et mal préparé.

Les Nordiques disputent le tout premier match de leur histoire le 11 octobre à Cleveland contre les Crusaders et leur as gardien Gerry Cheevers. Mais c'est le gardien des Nordiques, Serge Aubry, qui est remarquable, même si le match se solde par une défaite de 2 à 0. Déjà épuisé, Maurice Richard annonce le lendemain à Marius Fortier qu'il veut quitter la barre de l'équipe: «C'est bien simple, je vais mourir derrière le banc et j'aime trop la vie pour ça. Trouve-toi un autre instructeur et ça presse1». Fortier réussit à persuader le Rocket de rester pour le match inaugural à domicile contre les Oilers de l'Alberta, mais Richard est incapable de suivre la partie et c'est Jean-Claude Tremblay qui effectue discrètement les changements de trios. François Lacombe inscrit le premier but de l'histoire de la concession et Québec l'emporte facilement par 6 à 0.

Le Rocket lance la serviette le 14 octobre, après seulement deux rencontres. Il refuse d'être payé, se contentant de sa prime de signature, soit 4000 $. Après avoir bénéficié de tonnes de publicité à la nomination de Richard, l'équipe doit maintenant se relever de ce désastre. Heureusement, Maurice Filion est disponible pour assurer la relève et accepte de terminer la saison à la place du Rocket. Le club remporte son premier match à l’étranger à Boston le 19 octobre et c'est Alain «Boum Boum» Caron qui a l'honneur d'inscrire le premier tour du chapeau de l'histoire des Nordiques, le 15 novembre contre les Raiders de New York. Le club québécois surprend agréablement en début de saison, occupant même le premier rang de la division Est le 8 novembre après un gain contre Winnipeg.

Par contre, les Nordiques en arrachent sur les patinoires des clubs adverses, mieux préparés pour cette première saison de l'AMH. La ville de Québec a l'honneur d'accueillir le premier match des étoiles du nouveau circuit, présenté au Colisée le 6 janvier 1973. Les Nordiques sont représentés par Serge Aubry, Jean-Claude Tremblay et Michel Parizeau, qui s'annonce déjà comme un des meilleurs «couvreurs» de la ligue. L'Est l'emporte par 6 à 2 dans un match enlevant, mais disputé devant une foule décevante de 5435 spectateurs. Une taloche au visage de l'AMH qui comptait sur cette rencontre pour en mettre plein la vue à ses détracteurs! Cet échec s'explique en grande partie par le piètre système de vente de billets du Colisée.

Les Nordiques se hissent au deuxième rang du circuit pour les assistances (derrière Boston) avec une moyenne d'un peu moins de 7000 spectateurs par match. Ce n’est pas mauvais dans les circonstances, mais c'est moins que les Remparts qui attirent deux ou trois milliers d'amateurs de plus à chaque rencontre. Déterminés à attirer des foules de 10 000 spectateurs au Colisée, les propriétaires des Nordiques vont jusqu'à offrir une rutilante voiture neuve à un spectateur si l'objectif est atteint. Malgré une importante campagne publicitaire, les amateurs ne répondent pas à l'appel. Le 8 mars, on a beau avoir mis le paquet pour la visite de Bobby Hull et des Jets de Winnipeg, il manque encore 18 spectateurs pour atteindre le chiffre magique de 10 000; tout de même, on tire au sort la fameuse voiture!

En fin de saison régulière, les Nordiques se battent pour une place dans les séries de la coupe Avco et livrent une chaude lutte aux Blazers de Philadelphie, aux Nationals d'Ottawa et aux Raiders de New York, trois clubs déjà aux prises avec de sérieuses difficultés financières. Québec s'approche du quatrième rang à la mi-mars, mais subit trois défaites en quatre rencontres contre l'Alberta et perd un match crucial à Ottawa le 27 mars. Les Nordiques sont éliminés de la course le 31 mars, malgré une victoire contre les Aeros de Houston. Le club termine la saison avec un dossier de 33 gains, 40 revers et 5 verdicts nuls, à trois points d'Ottawa et du quatrième rang de la division Est. Les Nordiques ont bien joué au Colisée, comme le montre leur fiche de 22-12-5, mais c'est à l'étranger qu'ils ont gâché leur saison inaugurale avec 11 victoires et 28 défaites.

On critique l'entraîneur Maurice Filion pour cette élimination hâtive, mais c'est plutôt le manque d'expérience au sein de l'équipe qui est à blâmer. Voulant trop réussir, les jeunes Nordiques ont peut-être trop ouvert la machine en début de campagne. Quelques années plus tard, Jean-Claude Tremblay fera remarquer à quel point la tâche était colossale pour le club québécois: «Jamais dans toute ma carrière je n'avais éprouvé les sensations fortes de cette première saison à Québec. C'était un continuel défi, l'obligation de se surpasser match après match2». La première saison des Nordiques se termine tout de même sur un bilan positif: le club n'a peut-être pas atteint les éliminatoires, mais il a offert du jeu excitant à ses partisans. La preuve est faite que la ville de Québec est capable de faire vivre un club de hockey professionnel.

Les Nordiques se doivent néanmoins d'embaucher d'autres bons joueurs de la LNH pour épauler Jean-Claude Tremblay, qui a sauvé le club à maintes reprises durant cette première saison. L'équipe doit aussi trouver un successeur à Maurice Filion, arrivé en catastrophe pour remplacer Maurice Richard. Écartant la candidature d'Alger Arbour (qui connaîtra la gloire avec les Islanders), Marius Fortier offre les postes de directeur-gérant et d'entraîneur à Jacques Plante, une légende vivante du hockey. Plante signe le 2 mai 1973 un contrat de dix ans, à 60 000 $ par saison. Un contrat de dix ans pour un homme qui n'a jamais dirigé un club de sa vie! C'est ainsi que débute l'un des épisodes les plus noirs de l'histoire des Nordiques…

Notes de référence
1. Claude Larochelle, Les Nordiques: 10 ans de suspense, Sillery, Lotographie, 1982, p. 184-185.
2. Op. cit. p. 188-189.

Voir aussi
Profil: Marius Fortier
Statistiques, saison 1972-1973
Sommaire: Premier match dans l’AMH
Sommaire: Premier match au Colisée
Sommaire: Premier match des étoiles de l'AMH au Colisée
Cartes postales des Nordiques, saison 1972-1973
Cartes O-Pee-Chee, saison 1972-1973
Magazines, saison 1972-1973
Photo d'équipe, saison 1972-1973


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