Le circuit maudit
Ridiculisé dès sa naissance, le projet fou de deux Californiens se transforme rapidement en véritable cauchemar pour la Ligue nationale de hockey.
En avril 1971, deux Californiens, Gary Davidson et Dennis Murphy, décident de mettre sur pied une nouvelle ligue professionnelle de hockey pour faire concurrence à la LNH. Le 10 juin 1971, la World Hockey Association — Association mondiale de hockey (AMH) en français — fait son apparition. Davidson ne connaît presque rien au hockey, mais il sait reconnaître une bonne affaire. De nombreuses villes canadiennes et américaines sont fin prêtes à accueillir une équipe professionnelle; il suffit d'ajouter quelques franchises dans les grands centres comme New York, Chicago et Los Angeles, et le tour est joué. L'AMH songe même à s'établir ultérieurement en Europe, à Mexico et à Honolulu!
Le projet n’est pas aussitôt lancé que Bill Hunter d'Edmonton, Ben Hatskin de Winnipeg et d'autres millionnaires en quête d'émotions fortes demandent des concessions dans la nouvelle ligue. Le 1er novembre 1971, l'AMH répond favorablement aux demandes d'Edmonton, de Calgary, de Chicago, de Dayton (Ohio), de Los Angeles, de Miami, de New York, de Saint-Paul (Minnesota), de San Francisco et de Winnipeg. Trois semaines plus tard, l'Ontario et la Nouvelle-Angleterre complètent les rangs de l'AMH. Les observateurs sont toutefois sceptiques: est-ce bien sérieux, ce nouveau circuit? La Ligue nationale de hockey prédit sa mort rapide, mais elle intègre en catastrophe deux nouvelles équipes pour la saison 1972-1973, soit Long Island et Atlanta!
Le 12 février 1972, l'AMH tient sa toute première séance de repêchage. Les 12 équipes du circuit se partagent plus de 1 000 joueurs. «Je suis insulté, je n’ai pas reçu d’offres de l’AMH1», ironise Aurèle Joliat, ancienne vedette du Canadien âgée de 72 ans. Tout le monde rigole, mais le rire a tôt fait de tourner au jaune. À la vitesse de l'éclair, les clubs de l'AMH sortent leurs billets verts et vont courtiser les vedettes de la LNH dont le contrat se termine cette année-là. Le premier joueur important à fausser compagnie à la LNH est le gardien de but Bernard Parent, qui signe un contrat le 21 février avec les Screaming Eagles de Miami.
Le 27 juin, stupéfaction! La super-vedette des Blackhawks de Chicago, Bobby Hull, signe avec les Jets de Winnipeg un contrat de dix ans assorti d'une prime de signature d'un million de dollars, une somme colossale à l'époque. Les Jets ont réalisé ce coup fumant avec l'aide des 11 autres clubs, qui ont déboursé environ 100 000 $ chacun! Le temps de le dire, d'autres vedettes font le saut dans l'AMH: Gerry Cheevers, Derek Sanderson, Jean-Claude Tremblay… La LNH ne rigole plus. Elle réplique en punissant les déserteurs, qu’elle exclut de la «Série du siècle» contre l'URSS avec la bénédiction de l'organisateur Alan Eagleson. La LNH poursuit l'AMH en justice, qui riposte en poursuivant la LNH pour 50 millions.
L'AMH présente ses deux matches inauguraux le 11 octobre 1972 à Ottawa et Cleveland. Les dirigeants du circuit promettent du jeu excitant et expérimentent de nouveaux règlements, telle une période de prolongation en saison régulière. La ligue réussit un autre exploit en 1973-1974: elle a convaincu Gordie Howe de revenir au jeu avec les Aeros de Houston. L'AMH et la LNH règlent leurs différends judiciaires hors cour en février 1974, mais elles n’en poursuivent pas moins une compétition féroce pour obtenir les meilleurs joueurs et organiser les meilleurs spectacles. L'AMH embauche plusieurs joueurs européens et met sous contrat les meilleurs espoirs du hockey amateur canadien. Parti de presque rien, le circuit imaginé en 1971 par Davidson et Murphy a donc réussi à changer le visage du hockey professionnel.
Notes de référence
1. Marius Fortier et Claude Larochelle, Les Nordiques et le circuit maudit, Sainte-Foy, Lotographie, 1978, p. 222.
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