L'affaire Lindros
Guerre d'usure entre les Nordiques et le clan Lindros, cette négociation serrée a soulevé les passions des Québécois et du Canada anglais.

Le 22 juin 1991 à Buffalo, les Nordiques sélectionnent au premier rang du repêchage amateur le plus bel espoir du hockey junior canadien, Eric Lindros. Un colosse de 6 pieds 4 pouces et 230 livres qui a tout raflé dans les rangs juniors: coupe Memorial avec les Generals d'Oshawa en 1990 et championnat mondial de hockey junior en 1990 et 1991. Au Canada anglais, on le surnomme déjà «the Next One», joueur de concession de la trempe des Gretzky («the Great One») et Mario Lemieux. À Québec, on croit déjà qu'avec Lindros la coupe Stanley et un nouveau Colisée sont dans le sac.

Comme Mario Lemieux en 1984, Lindros refuse d'endosser le chandail du club qui l'a sélectionné. Simple tactique de négociations? Non. Le clan Lindros — Eric, son père Carl, sa mère Bonnie et son agent Rick Curran — a décidé que la ville de Québec ne répond pas aux besoins du jeune prodige de 18 ans. Tout comme Sault-Sainte-Marie, qui avait repêché Lindros à l'encan de la ligue junior de l'Ontario en 1989. À l'époque, les Lindros avaient fait plier la ligue et obtenu qu'Eric soit cédé à Oshawa, à proximité de leur résidence de Toronto. Cette fois encore, les Lindros tiennent à déroger aux règles établies.

Calcul froid et impitoyable: dans un petit marché comme Québec, Eric ne pourra jamais récolter autant de contrats publicitaires et de visibilité que s'il jouait à Toronto ou dans une grande ville américaine. Il le répète, plus vaguement, aux journalistes: «Je veux aller là où je serai heureux1». Les Lindros refusent toutes les offres des Nordiques et exigent une transaction immédiate. Dans le pire des cas, Eric attendra deux ans et sera admissible au repêchage de 1993. À Québec, on n'en revient tout simplement pas! Les qualificatifs abondent: «arrogant», «méprisant», «bébé gâté»… En septembre, Lindros est invité au tournoi de la coupe Canada et récolte facilement un poste au sein de l'équipe. À Montréal, la foule le hue; à Québec, lors du match Canada-URSS, la réaction des amateurs est mitigée, car on espère toujours que le jeune Ontarien reviendra sur sa décision.

Avec la horde de journalistes présents à la coupe Canada, l'affaire Lindros tourne à l’affrontement politique. Les médias du Québec et du reste du Canada s'accusent mutuellement de manquer d'objectivité. Si, au Québec, on applaudit les Nordiques qui refusent de céder aux pressions du clan Lindros, ailleurs au pays, on ne comprend pas pourquoi Québec refuse toujours d'échanger Lindros. Les Lindros n'aident pas leur cause en y allant de commentaires négatifs sur le Québec, l'organisation des Nordiques (qu'ils accusent d'avoir fait exprès pour terminer au dernier rang en 1990-1991) et Marcel Aubut. Les Nordiques offrent un contrat de 55 millions pour 10 ans à Lindros, mais ce dernier ne veut rien entendre: «Je ne jouerais pas à Québec pour 100 millions par an2

En 1991-1992, Lindros décide de joindre les Generals d'Oshawa et l'équipe olympique canadienne, qui récolte la médaille d'argent à Albertville. À l'approche du repêchage amateur de juin 1992, la valeur de Lindros monte en flèche et plusieurs clubs s'intéressent à lui même si sa signature n'a toujours rien d'assuré. Dans ce contexte plutôt confus, Québec réalise une autre première le 20 juin 1992 en cédant Lindros à deux équipes en même temps, les Flyers et les Rangers! L'arbitre Larry Bertuzzi est saisi de l’imbroglio et conclut que la première entente avec les Flyers était bel et bien légale. Ainsi s'achève ce feuilleton interminable, une affaire complexe qui aura fait couler beaucoup d'encre!

Notes de référence
1. Daniel Poulin, L'affaire Lindros: un dossier complexe et peu reluisant, Laval, Guy Saint-Jean Éditeur, 1992, p. 56.
2. La Presse, 2 juillet 1992, p. S8.


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